La Tempete

Présentation du spectacle de Véronique Caye (Laboratoire Victor Vérité)

Dans un monde envahi par les images et le virtuel, qui pourrait aujourd’hui affirmer avec une certitude absolue que sa vie n’est pas un songe. Il existe toujours un doute sur la réalité de l’objet perçu et la perception que nous nous en faisons.

Le projet La Tempête s’inscrit de la continuité de la recherche de Véronique Caye sur la place de l’image sur scène (Vera Icona) et sa signification dans la société contemporaine.

Le tableau de Giorgione, La Tempête (1515) et les paroles de Prospero, le magicien de La Tempête (1610) de Shakespeare, servent de point de départ à une réflexion sur la réalité des images. Sommes-nous prisonniers d’un monde d’images illusoires ? Ou bien au contraire, le virtuel, le monde des images n’est-il pas une tentative pour échapper à un réel que l’homme perçoit comme trivial, quotidien, dépassionné ? Le spectacle et l’installation La Tempête sont une mise en abyme de notre rapport aux images grâce à la « magie » de la réalité augmentée mixte. Prospero déploie ici tout son art de l’illusion et nous invite à regarder au delà des apparences pour choisir d’être libres dans un monde d’images.

Lien vers la page du spectacle sur le site de Laboratoire Victor Vérité: La Tempête

Recherches graphiques autour de ce spectacle

Cette page présente les travaux préparatoires de recherche en vidéo (à partir de captures vidéo réalisées par Véronique Caye) et en dessin (à partir du tableau La Tempête de Giorgione) dans le cadre de ma participation à la création de La Tempête, un spectacle de Véronique Caye accueilli en résidence par la Scène de recherche de L’École Normale Supérieure Paris Saclay en janvier-février 2020. J’y ajoute une vision ensembliste de la magie, jeu formel sans prétention aucune de faire une “philosophie” de la magie.

Vidéo

La vidéo vectorielle consiste à transformer chaque image d’une vidéo en image vectorielle (comme celles que vous pouvez obtenir en transformant une image bitmap en image SVG dans Inkscape). Ici, nous utilisons quatre couches composées de 4 niveaux de gris + un fond blanc. En plus de la vectorisation, des transformations supplémentaires peuvent être effectuées sur la représentation vectorielle de l’image (dans notre cas au format SVG) avant qu’elle ne soit finalement transformée en bitmap et en fichier vidéo. Un exemple de rendu de vidéo vectorielle est donné par la vidéo ci-contre avec des effets de composition de deux vidéos et de zoom central. Les vidéos sources sont de Véronique Caye et ont été tournées à Belle Île en Mer, France.

Lors du rendu visuel interactif durant le spectacle, la vidéo vectorisée est appliquée sur un modèle 3D de la salle dans laquelle à lieu la projection. Le rendu de ce modèle 3D est calibré pour coïncider avec le volume physique de la salle dans laquelle il est projeté afin que les vidéos soient “plaquées” sur les surfaces de la salle et rendues ainsi sans distorsion de perspective (dans une logique de réalité augmentée). Enfin, lors du rendu, des effets numériques sont ajoutés, et sont programmés afin de réagir, entre autres, à la composition musicale interactive, ils sont visibles à partir de 0’13” dans la vidéo. Des exemples de screenshots de vidéo vectorielle et d’effets numériques appliqués sur la celle-cisont présentés dans la galerie ci-dessous. On remarquera que les effets “regranularisent” la vidéo vectorielle qui, contrairement à une vidéo standard, a un rendu de type film d’animation.

Dessin

Afin de préparer les dessins qui seront proposés en lien avec la composition musicale et la performance des acteurs, j’ai réalisé des croquis à partir d’une reproduction de La Tempête de Giorgione qui sert de référence conjointe avec la pièce de Shakespeare dans la création de Véronique Caye. J’ai fait ces croquis dans le même esprit que ceux réalisés par Claude Viallat (je remercie V. Caye de me les avoir indiqués) avec plus ou moins de distance par rapport à l’oeuvre classique. Les dessins sont présentés dans la galerie ci-dessous.

Le tableau est architecturé comme un cosmos autour d’un cercle qui connecte l’arbre lune, l’arbre soleil, la femme et l’homme. Comme beaucoup d’éléments dans ce tableau, ceux-ci sont genrés (deux symboles masculins et deux symboles féminins) et disposés de façon diamétralement opposée avec, au centre du cercle, le milieu du pont. Mes croquis relèvent différents types de symboles (de genre, de connexion (je rejoins Viallat), d’animalité…). J’ai été très intrigué par la forme animale qui porte la femme, mi fourmilier, mi otarie (ce tableau de Giorgione est contemporain du Jardin des délices de Bosch). Enfin, le croquis intitulé La mer essaie de rejoindre La Tempête vue par l’oeil vidéaste de Véronique Caye et l’oeil peintre Giorgione.

Les points de fuite convergent pas tous vers une même ligne d’horizon (une horizontale légèrement au-dessus du pont). Bizarrement, l’autel sur lequel sont posées les deux colonnes a un point de fuite très haut et éloigné (vers l’arbre soleil ou hors du tableau, même). Est-ce une vision divine de cet élément parce qu’infiniment éloignée? Dans ce cas, que symbolisent ces deux colonnes qui sont posées sur cet autel? Le féminisme en Italie est apparu durant la Renaissance, soutenu par des théoriciennes ayant développé des idées sur l’égalité des sexes. Est-ce que ce tableau aurait à voir avec ce courant de pensée, donnant aux deux personnages un rôle équilibré, inhabituel dans les oeuvres antérieures? Cette tempête, serait-elle celle d’une profonde évolution sociale depuis une société moyennâgeuse patriarcale vers une société de la Renaissance italienne beaucoup plus paritaire? Mais il est difficile de qualifier ce tableau de féministe, car, même si la femme et l’homme sont à égale distance du spectateur et donc à une échelle similaire, même si la hauteur des deux visages dans le tableau est la même, la femme y figure assise, à moitié dénudée et allaitante (donc mère) et avec son pubis est visible (donc objet de désir), alors que l’homme y est représenté habillé (donc dans son rôle social). De plus, il tient un baton, symbole de pouvoir.

Comme des analystes l’ont remarqué, ce tableau se démarque des scènes religieuses habituellement représentées à cette époque. C’est précisément l’originalité de son sujet et son absence d’univocité qui en suscite l’intérêt par l’aspect énigmatique de sa composition. Les regards que j’y porte sont, bien sûr, sujets à caution, n’ayant pas l’érudition d’un.e humaniste pour en faire une analyse ancrée dans un savoir sur cette période. Ces réflexions inspirées par ce travail de regard sur l’oeuvre de Giorgione n’engagent que moi…

Une vision ensembliste de la magie

L’imaginaire comme l’ensemble des visions personnelles du monde réel (dont certaines coïncident avec le monde réel). Chacune de nos visions spécifiques (VS) du réel (R) sont l’effet de nos perceptions personnelles (VP). Le monde imaginaire étant l’ensemble de ces interprétations perceptives du réel.

Prospero utilise la magie pour exploiter l’ambivalence de nos sens et déplacer notre imaginaire (ou nous faire voir une autre réalité). Il crée un nouvel imaginaire en orientant (exploitant) notre créativité sensorielle par la magie, afin de nous contrôler par les émotions et parvenir à ses fins sans nous endommager (magie blanche par rapport à la magie noire).

Mais Prospero n’a-t-il pas une double facette: un côté brillant et manipulateur de celui qui parvient à ses fins subtilement et un côté sombre et mélancolique de celui qui, une fois parvenu à ses fins, découvre la vanité de son art et sa solitude. Est-ce aussi une réflexion sur le spectacle et la création théâtrale: est-ce que l’ordre du monde est meilleur après le spectacle? L’artiste joue avec nos sens et notre imaginaire, mais il ne peut pleinement profiter de son pouvoir car il trouble l’ordre du monde sans être vraiment révélé. Les victimes ou les bénéficiaires poursuivent leur vie hors de son pouvoir sans reconnaissance. A comparer avec l’ordre et le pouvoir religieux.

La Tempête: Un spectacle de Véronique Caye
en collaboration avec Sarah Freynet, Michèle Gouiffès, Pauline Guyonnet, David Houri, Sandrine Juglair, Pierre Mignard, Frédéric Minière, Yukao Nagemi, Rafael de Paula, Pascale Stih
Scène de recherche de L’École Normale Supérieure Paris Saclay